par longimane » Sam Nov 06, 2004 12:52 am
Original, ce topic.
Pour ma part, je n'irai pas jusqu'à dire que je fais de la voile. En réalité, je n'en ai fait qu'une seule fois, il y a bien longtemps, et j'avais à cette occasion failli être envoyé dans une galaxie bien lointaine. Expérience unique, donc, et dans tous les sens du terme, mais je peux en revanche affirmer que ce que j'ai alors vécu dépasse à la fois l'entendement et les expériences cumulées de bien des navigateurs autrement plus aguerris que moi.
Je vais tâcher de décrire ça dans les très grands lignes, car l'ensemble nécessiterait un livre (ce que je ferai peut-être un jour, ça tombe bien, c'est mon métier...). De plus, celles et ceux qui seraient déjà tombés sur ma prose savent combien la concision n'est pas véritablement ma marque de fabrique (et c'est là une douce litote). Je n'ai donc pas la moindre prétention à retranscrire ici cette expérience dans le détail. Je vais même m'en défendre et me forcer à utiliser un style "sténo", comme on dit.
Contexte
Août 1985. Mer Méditerranée, entre les Baléares et les côtes françaises (Var). Nous étions 3 : un pote (15 ans), son père (à peu près 50 ans, dont 40 ans d'expérience de voile), et moi (14 ans, expérience nulle (et pas qu'en voile)).
Traversée de 3 jours et 3 nuits (départ de Cogolin, première ville ralliée : Ciudadella, sur l'île de Minorque), séjour de rêve aux Baléares, pendant 3 semaines. On faisait du canotage, naviguant donc de port en port, de crique en crique, d'île en île.
Au bout de ces 3 semaines, on décide de rentrer en France.
Problème
Une tempête se profile. On l'annonce importante, voire très importante. Autant qu'on puisse le déterminer, puisque la caractéristique de la Méditerranée est d'être extrêmemnt traîtresse ; on peut très rarement prévoir les tempêtes plusieurs jours à l'avance. Pas plus que leur durée ou leur force.
Décision (stupide)
On prend quand même la mer, après 4 jours d'attente. Et en route pour la joie...
Le vif du sujet
L'enfer, dans toute son effrayante démesure.
Tempête force 10 (ou 11, je ne sais plus). Ce qui signifie des vagues de 6 à 8 mètres, des creux énormes, un vent à plus de 100 km/h avec des rafales à 150, voire plus.
Disposition d'esprit
Quand on s'autorisait à penser, on s'attendait à ce que chaque vague nous renverse et nous emporte. Nous n'espérions plus rien. Juste un sursis de quelques vagues, dans le meilleur des cas. Mais il était évident pour nous que si nous ne devions pas être emportés par celle-ci, nous le serions par une des suivantes. Si bien qu'à un moment, on s'est arrêté de penser, d'avoir la moindre conscience de ce que nous vivions.
Inventaire
Le bateau était dans un état catastrophique. La barre automatique et la radio étaient cassées, les voiles déchirées avant même d'avoir pu les ranger, la cabine avant impraticable, tout était sens dessus-dessous, et pour ne rien gâter nous avions perdu les gilets de sauvetage... Ambiance...
Ca a duré comme ça pendant 5 jours et 5 nuits. Ce qui est très long dès lors qu'on est certain de l'issue qui nous guette.
Et pendant ce temps...
... La mère de mon pote et mes parents avaient alerté Crossmed, le service de recherche et de sauvetage en Méditerranée. Après avoir tenté de maintenir leur moral au sec, ils ont expliqué que cette tempête était si forte que même leurs avions et hélicos ne pouvaient pas décoller. Pour eux, c'était du jamais vu. Ils ont même conseillé à mes parents et à la mère de mon pote de se préparer au pire, qui dans le contexte devait être très sérieusement envisagé.
Donc, quelques bougies ont brûlé dans l'église Sainte-Rita, et les maisons Borniol et Robelot ont été contactées pour des demandes de devis.
Au final...
Le miracle a eu lieu et nous avons finalement pu rallier le port de Cogolin, après 5 jours et 5 nuits passés sur une autre planète.
Le préposé du port qui nous a vus a failli avoir une attaque en identifiant le bateau. Tous les ports avaient été alertés, bien sûr. Et ne se faisaient guère d'illusions.
En fait, des gens de Crossmed nous ont dit que c'était l'une des plus fortes tempêtes depuis 50 ans. Quand j'ai eu ma mère au téléphone pour m'excuser de ne pas lui avoir envoyer de cartes postales, il y a eu un blanc de plusieurs secondes. Il faut la comprendre, elle s'était faite à l'idée que j'étais mort, et probablement dévoré par les requins.
18 ans plus tard
Parfois, je me demande si tout ça a réellement eu lieu. Si oui, tant mieux. Sinon, faut que je consulte.
Dans 1 an et demi, pour célébrer les 20 ans de cette petite escapade, je consulterai les archives de Crossmed pour savoir vraiment ce qui s'est passé.
Requiescat in pace
Quand Tabarly est mort connement, entre l'Angleterre et l'Irlande, j'ai eu honte. J'ai trouvé ça injuste qu'un môme comme moi s'en sorte miraculeusement, et qu'un géant comme lui périsse ainsi, dans une mer à la con, alors qu'il avait affronté tout au long de sa vie les océans les plus déchaînés.
Il paraît que 50 000 personnes disparaissent chaque année en mer. J'ai lu ce chiffre à plusieurs reprises, et pourtant je n'arrive toujours pas à y croire.
Et merde, j'ai encore été trop long...
Compte : longimane
Tura Satana (Dark Elf, HC, lvl 121)
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