par Stupendous-Man » Mer Oct 20, 2004 2:57 pm
Astéroïde 1997 XF11 : Pourquoi s'est-on fait peur ?
Le 12 mars dernier, un banal communiqué de l’Union astronomique internationale annonçait qu’un gros caillou filait sur une trajectoire qui pouvait l’amener à frôler la Terre en… 2028. Frayeur à la une.Deux jours plus tard, on n’en parlait plus. Pourtant, le scénario n’était pas si mauvais que ça.
Le ciel vient en aide à l’amérique et à son cinéma. Aux tout premiers jours de mars, le tournage de deux films catastrophes agite les grands studios hollywoodiens. Avec Armageddon, l’apocalypse biblique, comme avec Deep Impact, le nouveau Steven Spielberg, on se prépare à sauver la Terre d’une menace cosmique : les deux scénarios imaginent que notre planète et un petit corps céleste vont entrer en collision !
Chez Disney, l’environnement est américano-spatio-héroïque. Une équipe d’astronautes a la lourde responsabilité de se poser à la surface d’un astéroïde “grand comme le Texas”, d’y déposer une bombe atomique et de le faire exploser avant qu’il ne frappe
la Terre de plein fouet. Chez paramount/Dream, le compte à rebours psycho-dramatique se lit dans les yeux d’un petit groupe d’hommes, prévenus trois ans plus tôt de l’imminence d’une catastrophe majeure… Une fin du monde avec laquelle ils doivent apprendre à vivre.
“Nous en sommes convaincus depuis plusieurs années. Le problème n’est pas de savoir si cela va vraiment arriver, mais de connaître exactement le jour et l’heure de l’impact prévu. Du délai qu’il nous restera avant la collision, dépendra notre espoir de survie.” L’homme n’est pas un scénariste mais un scientifique. L’émission télévisée n’est pas un quart d’heure de divertissement mais un “spécial actualité” où Jack Hills, astronome au laboratoire national de Los Alamos,
et une nuée d’experts appelés à la rescousse n’affichent pas la mine d’aimables plaisantins. L’information s’étale à la une des journaux et les astronomes se succèdent sur les plateaux de télévision pour commenter la nouvelle : le 26 octobre 2028, l’astéroïde 1997 XF11 croisera la route de la Terre à 18 h 30 GMT, à une distance comprise entre 400 000 km et moins de 48 000 km. “Les derniers calculs d’orbite montrent que, dans un peu plus de trente ans, il est pratiquement certain que l’objet passera à une distance inférieure à celle de la Terre à la Lune. Les risques d’une collision sont faibles mais ne peuvent pas être totalement écartés”, a expliqué Brian Marsden, directeur du Bureau central des télégrammes astronomiques de l’UAI, dans un communiqué adressé à la presse.
Coup de tonnerre. Jeudi 12 mars 1998, et pendant les 24 heures qui vont suivre, le réel scientifique et le virtuel cinématographique vont brutalement se confondre. Les grands médias américains, friands de sensationnalisme et ravis de jouer à se faire peur, vont bondir sur l’occasion pour braquer leurs loupes simplificatrices sur les acteurs de l’événement. Tous les ingrédients d’une histoire à succès sont réunis. Tout est vrai : la réalité scientifique s’appuie sur la crédibilité des astronomes concernés et sur la validité de leurs travaux d’observation. Toutes les hypothèses, y compris la pire, sont possibles : cette virtualité, basée sur une probabilité “non nulle” de collision, est l’occasion d’imaginer un spectacle effrayant dont les épisodes dramatiques n’ont jamais été aussi bien illustrés que par les effets spéciaux du cinéma (Meteor, etc…).
à la vitesse de la lumière, capturée et amplifiée par internet, la nouvelle de cette “réalité virtuelle” va donc faire le tour du village planétaire. Astérix et Tintin, nos héros mondiaux, vont se rejoindre dans les branches d’une étoile mystérieuse dont ils ne craindront — évidemment — qu’une seule chose, c’est qu’elle leur tombe sur la tête… Mais un petit tour de terre plus tard, un magistral coup de théâtre interrompt l’histoire : “L’as-téroïde 1997 XF11 devrait passer bien au-delà de la distance Terre-Lune (une distance confortable de 960 000 km a été calculée) et le risque de collision est maintenant égal à zéro”, annoncent le vendredi 13 mars dans un communiqué Donald Yeomans et Paul Chodas, responsables au Jet Propulsion Laboratory (JPL) du groupe de la dynamique du Système solaire. “Au vu des nouvelles données analysées, la probabilité d’un impact semble beaucoup plus faible qu’elle ne l’était hier, mais elle n’est pas tout à fait nulle”, modérera Brian Marsden dans une déclaration au New York Times. L’alerte à l’astéroïde aura fait long feu et même si, au lendemain de ce démenti, quelques médias imprudents se risqueront à titrer “Les astronomes se sont trompés ; la Nasa corrige les calculs”, l’affaire 1997 XF11 sera aussi vite enterrée qu’elle fut promue.
Reste que, loin du brutal coup de projecteur de l’actualité — qui gomme les nuances et les ombres du travail scientifique —, la véritable histoire de ce géocroiseur menaçant donne raison aux mises en garde formulées par les astronomes sentinelles. L’affaire 1997 XF11 débute le 6 décembre 1997 dans la coupole du télescope Spacewatch, l’un des rares programmes spécialisés dans la recherche automatique des astéroïdes. L’astronome aux commandes de cet instrument de 90 cm installé à Kitt Peak (Arizona) est expérimenté. Toutes les nuits claires, Jim Scotti balaie le ciel à la recherche de ces “petites planètes” errantes dont les spécialistes du système solaire avaient longtemps méprisé l’existence. La “vermine du ciel”, astéroïdes et comètes, se prend régulièrement dans ses filets électroniques. Les petites traces lumineuses qui rayent les écrans de Scotti sont les premiers éléments d’une enquête qui s’avère souvent difficile à mener. S’agit-il d’une découverte, d’un obscur objet du système solaire dont la faible lumière est observée pour la première fois, ou d’une redétection, réalisée des mois, des années après une première observation sans suite ? Peut-on alors calculer les mouvements de ce corps céleste, déterminer les éléments de son orbite, connaître sa taille, sa nature, sa masse, sa composition minéralogique, bref, à partir de la maigre lumière enregistrée, dresser une carte d’identité complète de ce nouveau membre de la famille planétaire ? La mission est de prime abord impossible tant les données sont pauvres et les objets lointains. obtenir suffisamment d’informations pour calculer une orbite est déjà une grande victoire. Progresser plus avant suppose une mobilisation importante des moyens d’observation ou… l’opportunité d’un passage très proche de la Terre.
Jim Scotti en a fait l’expérience. Mi-décembre 1994, une traînée lumineuse coupe l’un des champs de ciel qu’il surveille : “Un objet qui allait très vite, et nous avons compris qu’il était très près, qu’il allait nous frôler…” 1994 XM1 détient toujours le titre de “champion des indésirables”, l’astéroïde qui a frôlé la Terre au plus près. Ce corps pierreux, de 10 à 15 m de diamètre, va s’approcher à 105 000 km de nous, moins du tiers de la distance Terre-Lune. L’épaisseur d’un cheveu à l’échelle astronomique.
1994 XM1 détient toujours le titre
de champion des indésirables.
1997 XF11 n’est visiblement pas de même nature. La nuit du 6 décembre 1997, Jim Scotti enregistre, à 30 minutes d’intervalle, trois images de l’astéroïde et recueille les premières conclusions crachées par les programmes d’ordinateur. Le rocher volant non identifié est gros, très gros même : 1,6 km de diamètre environ. Une petite montagne de menace qui coupe l’orbite de la Terre. Dans un courrier électronique adressé immédiatement à Brian Marsden, il commente l’envoi de ses données : “C’est une horreur !” Classé “objet potentiellement dangereux”, 1997 XF11 est pris en chasse par deux astronomes amateurs japonais, alertés par la publication des premières coordonnées disponibles sur le site internet d’Harvard. Deux mois plus tard, pour Brian Marsden, les éléments de l’orbite sont plus précis. “Une approche serrée avec la Terre semblait se profiler pour octobre 2028”, écrit-il. Le premier calcul laisse envisager un passage à 800 000 km. De nouvelles observations réalisées les 3 et 4 mars au Texas par l’astronome Peter Shelus, de l’observatoire McDonald, vont étendre à 88 jours la durée totale des observations utilisables pour un calcul d’orbite. La longueur de l’arc observé s’accroissant, la mesure de la trajectoire de 1997 XF11 s’affine. Les derniers calculs de Brian Marsden publiés le 11 mars sont très précis et… édifiants : “Les données dont nous disposons actuellement indiquent que le 26 octobre 2028 à 2 h 30 (heure française), l’astéroïde 1997 XF11 devrait frôler la Terre à une distance minimale de 48 270 km. Ce soir-là, l’objet sera bien visible à l’œil nu. En Europe, où il fera nuit, il devrait permettre une splendide observation, traversant
tout le ciel du nord-ouest au sud-ouest en deux heures environ.” Et Brian Marsden d’ajouter : “Il y a encore des incertitudes sur les calculs… Il est possible que des observations antérieures soient retrouvées dans les archives photographiques. Les années 1990, 1983, 1976, 1971 et 1957 auraient été particulièrement favorables à un enregistrement de l’objet. Il est souhaitable que des observations supplémentaires soient menées au cours des mois prochains, dans le but d’affiner les mesures. La prochaine opportunité surviendra au plus tôt en l’an 2000 ; la meilleure, et au plus près de la Terre, sera celle de la fin 2002, pour Halloween, à 10 millions de kilomètres.”
Si l’annonce publique de Brian Marsden fait l’effet d’une bombe dans les médias, dans la communauté scientifique les données sont lues avec une grande attention. On y note les marges d’erreur estimées
par l’auteur — plus ou moins 200 000 km — et on remarque l’appel à contributions lancé pour augmenter la quantité de données, tant dans les archives des observatoires que chez les observateurs. Mais la pierre est tombée et le train d’ondes provoqué par son impact public ne tarde pas à secouer le petit milieu des traqueurs d’astéroïdes. questionnés, certains tendent à modérer : “Pour l’instant, nous sommes certains que l’astéroïde va passer dans un cercle de 200 000 km de diamètre, où se trouvera la Terre. imaginez un cercle de 2 m et une cible de 12 cm à l’intérieur. C’est nous”, résume l’infatigable chasseur de géocroiseurs, Alain Maury, dans les colonnes de Libération. Ou encore : “Les évaluations de la masse et du diamètre de l’objet sont fondées sur la lumière du Soleil qu’il réfléchit, mais comme on ne connaît pas sa composition, il y a une incertitude d’un facteur dix environ”, explique à Meudon l’astronome Antonella Barucci. et, à l’inverse, d’autres
en rajoutent : “Je suis effrayé, déclare Jack Hills à l’hebdomadaire Time, car c’est vraiment en train d’arriver. La collision entre la Terre et 1997 XF11, à la vitesse de 60 000 km/h, pourrait provoquer un dégagement d’énergie de 300 000 mégatonnes — près de vingt millions de fois la puissance de la bombe lancée sur Hiroshima.” D’autres enfin règlent des comptes. Le plus sérieusement du monde, le président de la sous-commission à l’Espace de la chambre américaine des représentants, le républicain Dana Rohrabacher, publiera un communiqué pour critiquer la décision du président Clinton de mettre son veto au financement d’un satellite de l’US Air Force destiné à tester des technologies spatiales d’interception des astéroïdes. à l’époque, en octobre 1997, l’annulation de la mission Clementine 2 (une petite sonde de 30 millions de dollars qui devait être lancée en 1999 pour étudier le géocroiseur Toutatis) n’avait guère mobilisé la famille républicaine. visiblement l’occasion fait le larron…
Quelques heures plus tard, la circulaire UAI n° 6 839 va stopper net le flot des commentaires. Eleanor Helin, du JPL, annonce avoir retrouvé sur d’anciennes plaques photographiques qu’elle a réalisées en mars 1990 avec deux de ses collègues, à l’aide du télescope de Schmidt du mont Palomar, la trace de 1997 XF11. L’intégration de ces nouvelles données, portant à huit ans l’historique de la courbe des points d’observation, précise alors les calculs et éloigne la menace du passage en 2028 en la replaçant à la distance plus respectable de 960 000 km.
L’hypothèque levée, la fin du monde est remise à une date ultérieure. Mais l’histoire n’est pas pour autant terminée. L’apparent manque de coordination entre les divers organismes, qu’éclairent trop crûment les projecteurs braqués sur cette affaire, n’est que broutille face aux certitudes partagées par l’ensemble des scientifiques concernés. La première fait apparaître que demain, dans 100 ans, 100 000 ans, ou un million d’années, un astéroïde entrera en collision avec la Terre. Les cicatrices des événements passés sont toujours visibles : plus de 160 gros cratères ont été découverts sur la Terre. De même, et les images de chaque nouvelle sonde spatiale le prouvent, les surfaces de tous les corps du système solaire sont constellées d’impacts.
La deuxième conviction est la principale conclusion d’une observation directe : les conséquences d’un impact planétaire sont d’autant plus importantes que la taille du bolide est grande. Les observations réalisées à l’occasion de la collision de la comète Shoemaker-Levy avec Jupiter ont permis de juger de la violence du phénomène. Un tel choc, provoqué par un astéroïde ou une comète de plus de 1 km de diamètre, mettrait en péril l’équilibre de la biosphère et menacerait l’existence de centaines de millions d’êtres humains.
La troisième conviction — celle qui encourage à la transparence de l’information et pousse les scientifiques à réclamer des moyens nouveaux — est qu’il est possible de réduire la menace. Il faut pour cela mieux connaître l’ennemi… actuellement, 95 % des corps célestes potentiellement dangereux pour la Terre (108 sont connus) restent à découvrir. Au rythme et avec les moyens actuels (un budget mondial d’un million de dollars y est consacré chaque année), plus d’un siècle de travail sera nécessaire ! En augmentant les budgets consacrés à leur détection automatique, une à deux décennies de recherche devraient suffire à dresser une liste quasi exhaustive des épées de Damoclès volantes. Mieux connus, suivis avec attention et étudiés, ces géocroiseurs pourront toujours menacer la Terre.
Mais aujourd’hui, et davantage encore dans le futur, notre seul espoir d’échapper à une collision est de la prévoir longtemps à l’avance. “Des années auparavant, insiste Tom Gehrels, l’un des pionniers de la recherche des astéroïdes. C’est la seule façon d’envisager une parade efficace et d’adapter le mode de déviation de l’objet à sa nature physique.” Chaque jour, l’ampleur de la tâche apparaît plus grande. Selon une étude des astronomes Robin Evans et Karl Stapelfeldt, la population d’astéroïdes enregistrés au hasard des clichés du télescope spatial Hubble laisse supposer que 300 000 objets de 1 à 3 km de diamètre peuplent la ceinture principale d’astéroïdes. En compagnie de
millions d’autres de taille inférieure. Bien plus qu’on ne l’imaginait…
Gagner du temps, et réussir à convaincre. La tâche n’est pas facile et requiert, pour rester crédible, de ne pas crier au loup trop souvent et de ne pas céder au catastrophisme. Pour la première fois, même brièvement, l’alerte a sonné. Sous les spots inquisiteurs des médias et l’œil amusé du public bon enfant, l’enquête a conduit les astronomes à éteindre leurs voyants rouges. Mais demain, un peu plus tard peut-être, l’alarme retentira une nouvelle fois. L’entendre signifierait que l’on dispose de temps. Un astéroïde surgissant dans la direction du Soleil ne nous en laisserait guère. Un flash de lumière, le sol qui gronde et les dés seraient jetés… à moins que ce ne soit la fin de la séance, les lumières d’une salle de cinéma, les lambeaux d’un rêve qu’Hollywood voulait réaliste. C’est gagné !
TOI LA, qui me regarde, Fais une bonne action aujourd'hui, Deviens mon vassal !!!
>>> IcI